Texte francocéanique
Quels critères d'identification?
Un petit aperçu.
Depuis la création de son institution (1), le français, très fluctuant jusqu'au début du XVIIe siècle : verbes passant d’une conjugaison à une autre (recouvrer/recouvrir), genre des mots non fixé, morphologie flottante (hirondelle, arondelle ou erondelle), devient une langue d'expression normalisée et régie par des règles compréhensibles par les Français mais aussi par les Européens et les pays l'adoptant comme expression commune. (2)
D'autres pays francophones travaillent pour la mise en place de normes propres, identifiables et comprises d'abord par leurs compatriotes respectifs mais aussi par les autres membres de la communauté francophone. Évoquons par exemple, le cas du Québec. Ici deux écoles de pensées s'affrontaient : les endogénistes privilégiant la voie d'une norme centrée sur les référents et usages québécois et les exogénistes choisissant de suivre, à la lettre, la norme française. Lorsque les premiers prétendent que le français du Québec équivaut aux autres variétés de français en France, que celui-ci possède ses régionalismes (québécismes) bien compris par la francophonie, les seconds proposent par contre que le Québec reste sur le registre soutenu, en évitant l'emploi des régionalismes au niveau de l'écriture et l'oral comme le font d'autres pays francophones. Tout de même ils avouent que le français contient ses régionalismes (francismes), mais pas autant qu'au Québec. Ceux-ci ne se rencontrent que dans les régions, dans les périphéries du Centre. En France, les règles sont dictées par Paris et non la Province. Comme le français du Québec n'est compris qu'au Québec et dans les environs les exogénistes se demandent pourquoi en faire une norme qui risquerait d'isoler le Québec du reste de la communauté francophone. Au final, ce débat débouche à la rédaction du premier ouvrage de référence par l'OQLF (3) dont le GDT (4).
Qu'en est-il du français au niveau de l'Océan indien?
Les situations s'avèrent-elles identiques? Beaucoup d'écrits dans et sur l'océan indien. Les thèmes de ces ouvrages sont divers : le voyage, l'exil, le naturalisme, le colonialisme, la quête d'identité et bien d'autres. Pour comprendre, rassembler et classer toute cette diversité, des initiatives ont vu le jour : un premier congrès se tenait à Tananarive (5) pour interroger l'histoire et les archives. Des recherches et études universitaires s'ensuivent (6), des colloques aussi.
Prenons ainsi le cas de l’Île Maurice où existent plusieurs langues parlées et écrites (7). Ici la question de savoir quelle identité ou champ littéraire peut quelque part se considérer comme une question « un peu provocatrice » (8) selon à peu près l'avis du professeur Peter Hawkins. Edouard Maunick mais aussi Jean-marie Le Clézio, pour ne citer que ces deux écrivains, adoptent le français comme langue d'écriture, et publient en France ; Abhimanyu Unnuth, vivant dans l’Île, publie en Inde en hindi ; Dev Virahsawmy mauricien écrivant en créole mauricien ; Lindsey Collen, originaire d'Afrique du Sud, écrivant en anglais et publiant The Rape of Sita en 1993 à Maurice. Parmi ces productions, laquelle représenterait réellement ces diversités culturelles mauriciennes?
Ce bref constat montre qu’il est difficile de le savoir ou de se déterminer plus précisément. Il semble tout autant difficile de savoir s'il existe un ou plusieurs champs littéraires mauriciens.
Dans l’Île voisine, l'écart est considérable au niveau de la littérature écrite. Les Comores, pays francophone et arabophone, commence à produire, depuis les années 80, des textes en français (9), en shikomori (10) et bientôt en arabe. Pour donner une valeur correspondant à cette jeune littérature écrite et favoriser la production en ce sens, des maisons d'édition (11) et association d'écrivains comoriens (12) se sont créées. La question du champ, de référent ou de critère d'identification est en cours. Faudrait-il suivre l'idée de l'essayiste francocéanique Joubert quand il écrivait que la littérature des insulaires « est celle qui coupe – ou qui manifeste la volonté de couper – le cordon ombilical qui reliait encore la littérature des colons aux centres de culture métropolitains »? (13) Un peu à l'image de l'héroïne de Humbert rêvant d'ailleurs et son double redisant « notre vie est ici, nous n'avons pas d'autre monde », « ailleurs est un songe, ailleurs ne nous parle pas » (14) « De ce jeu constant entre l'ici et l'ailleurs, naissent des courants, des entrecroisements, des nœuds, des carrefours, qui offrent autant de repères pour saisir le mouvement de formation d'un champ, d'une entité, d'une authenticité. Il incombe au chercheur de les découvrir, de les explorer, et de les faire émerger à la conscience » comme le souhaitait le Président de la République de Maurice, Cassam Uteem, dans son discours inaugural (15). Ces idées, colloques, tables rondes et débats, comme nous venons de le souligner, peuvent constituer une matière à réflexion pour les chercheurs comoriens...Cette langue utilisée par l'écrivain comorien, s'inspirant de son insularité, sa comorienneté, et de ses rapports avec le Centre, deviendrait, selon Hombert, le « miroir » de son « âme », son « moyen de communication avec autrui », son « élément de sociabilité » qui est « signe de reconnaissance et d'appartenance à une communauté », « un groupe » et à « une culture » (16). Sachons que l'écrivain natif français, vivant en France, écrit en français. Cette même langue est utilisée par l’écrivain francophone né, vivant ou non en France, dans ses écrits. Comment alors distinguer ces textes ou ces auteurs quant à leur réception ? Suffira-t-il de s'appeler Noël, Bineta, Youcef, Ramatoa ou Soulouhou pour être considéré comme écrivain français, africain, océanique ou francophone ? Imaginons que Mouigni-Mali, l'un des palabreurs et maître de la parole à Ngazidja, soit né à Paris, y effectuant ses études élémentaires et secondaires et vivant, au terme de ses études universitaires, au Sénégal et y écrive un livre publié chez Présence Africaine ! A quelle catégorie de littérature appartient son ouvrage ? Alors, quel critère d'identification pour la réception?
Une question de classification se fait peut-être entendre…
Mais d’abord, quels thèmes, quels personnages ? Le personnage du notable dans le politique, l’islam, la culture ou le social...
Le 22/11/2012
Bibliographie
1- L'Academie française créée en 1635 sous Louis XIII et par Richelieu.
2- rédaction de quatre ouvrages : un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique et une poétique.
3-Office québécois de la langue française, créée le 24 mars 1961.
4-Le grand dictionnaire terminologique.
5-Congrès des historiens et archivistes de l'Océan indien en 1960.
6-Camille Rauville sur l'indianocéanisme, les littératures francophones dans l'océan indien...
7-Le français, l'anglais, le créole, l'hindi, l'arabe, mandarin, hakka et une multitude de langues indiennes.
8-a-t-il un champ lttéraire mauricien ? In Les champs littéraires africains,(textes réunis par Romuald Fonkoua...) Karthala 2001, p151.
9-Mohamed TOIHIR, La république des imberbes, L'Harmattan, 1985.
10-Nabhane Mohamed, Mtsamdu, kashkazi, kusi Misri, Komédit, 2011.
11-Komédit en 2000.
12-Aboubacar SAID SALIM, Président du Club Kalam.
13-Jean Louis JOUBERT, Les littératures de l'Océan indien, Vanves, EDICEF/AUPELF, 1991, p.137.
14-M. T. HUMBERT, A l'autre bout de moi, Paris, Stock, 1979, pp. 12, 151.
15-Kumar R. ISSUR et Vinesh Y. HOOKOOMSING, L'océan indien dans les littératures francophones, Karthala-Presses de l'Université de Maurice, 2001, (ouvrage réalisé à partir du colloque organisé par l'Université de Maurice en 1997) pp. 5, 6.
16-HOMBERT, Jean-Marie, Aux Origines des langues et du langage, Fayard, 2005, p.10.